C’est peu dire que l’économie de la promesse, caractérisée par Pierre-Benoit Joly pour les biotechnologies et les nanomatériaux, s’applique pleinement à la transition énergétique et plus particulièrement au stockage géologique de CO2. Les différentes briques technologiques qui composent le CCS sont en effet, comme dans le régime de la promesse, difficile à aligner, couteuse à mettre en place mais à même de résoudre des problèmes fondamentaux. Ces promesses ont la caractéristique de faire l’objet de critiques fortes, qui sont souvent accusées de limiter le déploiement de la filière et de faire prendre du retard aux technologies aux industriels – les critiques étant alors renvoyées au rang d’obscurantisme. Pourtant, les critiques font tellement partie des promesses qu’elles aident à configurer les promesses, et qu’elles agissent dessus – ce que nous voudrions montrer avec le cas du stockage géologique de CO2. Comme toute promesse, celle-ci peine à se réaliser – quand bien même le chemin parcouru depuis ses origines est significatif. Pour le dire vite, on peut considérer que cet assemblage de technologie, né dans les cerveaux de scientifiques dans les années 1970, a émergé entre 2005 et 2008 comme une réponse potentielle aux enjeux énergie-climat (O’Neill, Nadaï 2012), avec le développement de démonstrateurs dans les années 2010. Ces démonstrateurs industriels ont été l’occasion d’éprouver cette technologie. La preuve n’a pas été concluante puisque les 18 projets initialement prévus, trois seulement ont été effectivement déployés, alors qu’au moins autant ont été abandonnés suite à des contestations – les autres projets n’étant pas même arrivés au stade du débat. Promis aux oubliettes de l’histoire des technologies, cet assemblage a cependant fait l’objet d’un important renouveau après la COP21, au point que le CCS est maintenant considéré – y compris par le GIEC – comme une brique indispensable à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone, en particulier pour les industries émettrices de CO2 non pour leur consommation d’énergie mais pour leurs process technologiques (l’acier et le ciment notamment). Aujourd’hui, un premier site commercial de stockage géologique de CO2 est prêt à fonctionner en Norvège – il n’attend que ses premiers clients. Tout au long de cette histoire, le développement du CCS a été parsemé de controverses internes à la filière et en lien avec les publics. Aujourd’hui que le déploiement est en cours, ces controverses ne sont pas éteintes – elles sont même étrangement similaires à ce qu’elles étaient il y a quinze années de cela. Cette communication entend faire le point sur ces débats, en analysant notamment la manière dont ils se manifestent en un lieu précis – Lacq, dans les Pyrénées atlantiques. En montrant la permanence de ces débats, nous entendons montrer les effets de contre-cadrage qu’ils produisent et le rôle qu’ils jouent dans le développement de la filière. En effet, il nous apparait, et ce sera le point original de cette communication, que les débats portés par les publics ont deux utilités : ils servent à justifier des choix technologiques particuliers, voire à détourner le regard des vrais problèmes de la filière, tout en amenant progressivement les filières à se redéfinir le périmètre de légitimité du stockage géologique de CO2. Pour mener notre démonstration, nous analyserons dans un premier temps les caractéristiques du stockage géologiques de CO2 et les débats entourant la filière, en se penchant sur deux études de cas (Chapelle de Rousse et Pycasso). Puis, nous analyserons la fonction de ces débats à partir des évolutions qu’a connues récemment la filière, avant de conclure sur l’utilité des débats dans un régime d’économie de la promesse.